Patriotisme économique

Le patriotisme économique : une nouvelle politique industrielle pour le XXIe siècle ? 

Pour éclairer la question posée pour cette nouvelle session des Rencontres économiques de l’IGPDE (18 septembre 2008), Martin Piétri, qui remplaçait au pied levé l’animateur habituel Didier Adès, citait une source anonyme (et énervée) du SGDN : « avec son patriotisme économique, Villepin nous a planté ! ». En essayant de déterminer les raisons de ce courroux, la réponse était que l’on pouvait bien mieux en faire sans le dire… Je reviendrais à la fin sur la réaction du dernier intervenant à ce propos.

 Les intervenants donc :

  • David Thesmar, professeur associé de finance et d’économie à HEC : « Quel patriotisme économique au XXIe siècle ? »
  • Grégoire Postel-Vinay, responsable du service prospective, direction générale des entreprises, ministère de l’économie de l’industrie et de l’emploi : « Quels niveaux d’interventions et quels outils pour la politique industrielle aujourd’hui? »
  • Denis Verret, Senior Vice President Strategic Business and International Relations – Strategy and Marketing Organisation, EADS : « Quelles réponses à la compétition mondiale pour les entreprises européennes : l’exemple EADS ? »

David Thesmar, s’attachait tout d’abord à définir le patriotisme économique comme étant l’action d’empêcher les prises de contrôle d’entreprises françaises par des entreprises ou investisseurs étrangers. L’opinion étant plutôt favorable à ce genre d’interventionnisme, l’Etat se livre parfois (plutôt en fonction de la symbolique politique) à des prises de contrôle ou à des recompositions d’entreprises.

 Quelle en est l’efficacité ?

 Les acquisitions d’entreprises françaises par les étrangers représentent 20 md€ (soit 0,3% de la valeur totale). Ces acquisitions sont-elles dommageables ? Pour les acquisitions par des entreprises, il n’y a pas d’analyse comparatives sur des données françaises, les études étrangères (US, Suède, pays émergents) montrent un accroissement de la productivité, des hausses de salaires et pas de réduction d’emploi (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de flux d’entrée et sortie, et qu’il n’y a pas d’impact sur la santé et donc sur la société au sens large). L’orateur remarque lors d’une question sur ce point précis que dans le classement des entreprises où il fait le mieux vivre on trouve plus d’entreprises étrangères en haut du classement. David Thesmar a l’intention de commencer à explorer ce champ en croisant avec des données de la DARES. En ce qui concerne les achats par des fonds financiers, les études récentes montrait un impact négatif en terme d’emploi pour les données US (sur des firmes achetées déjà mal en point) et de façon surprenante les données française faisait état d’une augmentation de 20% des effectifs suite à un LBO, ce qui soulève de manière claire la problématique du financement des PME en France (les entreprises seraient craintives et économes en emploi et manqueraient de moyen pour se développer).

 Effets pervers

 David Thesmar abordait ensuite les effets pervers de ces actions de patriotisme économique. Il constatait que :

  • cela divertit l’attention du politique (qui devrait se concentrer sur une action de développement par l’innovation),
  • cela conduit à un traitement arbitraire (on intervient pour les chantiers de l’atlantique, mais pas pour Marionnaud),
  • cela se concentre sur les grandes entreprises établies (alors même que ce ne sont pas celles qui sont le plus génératrices d’emploi et ni de gain de productivité), cela protège les carrières de grands patrons français en étant défavorable aux actionnaires et aux salariés,
  • cela divertit le capital humain en favorisant l’orientation des meilleurs talents à faire carrière dans les grandes entreprises au lieu de les inciter à créer leurs entreprises.

 A la suite de quoi David Thesmar interrogeait : « Faut-il avoir une industrie ? Ne faudrait-il mieux pas se concentrer pour devenir les architectes de la globalisation, de la logistique ? ».

Le véritable remède

En partant du constat qu’un tiers du capital des entreprises françaises est détenu par des fonds étrangers, il remarquait que l’idée de créer un fond souverain à la française était une fausse bonne idée. Doté de 40 md€, il sera en effet trop petit face à des fonds comme celui d’AIG représentant 1000 md€.

Le véritable remède serait, selon lui, de mobiliser l’épargne à long terme des français en ne subventionnant plus que l’épargne retraite avec une défiscalisation à l’entrée plutôt qu’à la sortie.

 

Grégoire Postel-Vinay, prenait la suite avec une présentation longue et dense, vantant l’intervention de la DGE dans de nombreux domaines, dont je ne pourrais reprendre ici l’intégralité. Le seul point d’opposition exprimé avec l’orateur précédent était sur la nécessité d’avoir une industrie, point qui lui permettait d’insister sur l’importance qu’il y avait d’améliorer la formation initiale et continue.

Il situait le bon niveau d’intervention de l’Etat comme devant être multilatéral et partagé, depuis le niveau local jusqu’à l’international.

 

Denis Verret, commençait lui son intervention par affirmer son désaccord avec la position de David Thesmar sur l’industrie, par regretter l’absence du désordre économique dans la présentation de Grégoire Postel-Vinay.

Il marquait ensuite l’importance de la maîtrise de la technologie et l’importance de l’industrie pour l’autonomie politique d’un pays.

 The last supper

 Il choisissait d’illustrer ces deux aspects en rappelant l’historique qui avait conduit à une très forte concentration de l’industrie aéronautique américaine suivant l’impulsion donnée lors du Last Supper (voir références en bas d’article) convié par le Secrétaire d’Etat US Les Aspin.

 Cette concentration avait été le déclencheur de la création d’EADS qui permet aujourd’hui d’avoir un leader dans tous les segments ou l’intégration européenne s’est réalisée. EADS est dans une phase d’amélioration de la gouvernance, initiée avec la nomination d’un président et d’un directeur exécutif (et non plus des couples franco-allemands précédents).

 Il pointait ensuite l’avantage important dont disposait l’industrie américaine avec des budgets militaires 5 à 7 fois supérieur qui servent le financement d’avions civils. Il prenait pour cela l’exemple du développement de l’avion de transport militaire qui est un marché à gain garanti de 5 md € pour Boeing grâce au mécanisme de marché public permettant les dépassements jusqu’à 40% du coût initial (et qui va grandement servir au développement du nouveau Boeing civil 787) alors même qu’Airbus sera probablement pénalisé par les mécanismes de marché à pénalités européens dans le développement de l’A400M.

 Il revenait ensuite sur l’impact de la dévalorisation du dollar et s’interrogeait sur le niveau insupportable pour l’Europe, pour la Chine, et pour l’économie US elle-même (ce niveau étant probablement entre 1,60 et 1,80).

 Il concluait par la nécessité de relancer les grands programmes de développement européen, de relancer les regroupements dans l’industrie aéronautique et l’industrie de souveraineté, avec la volonté de dépasser les féodalités pour créer des centres d’excellence mondiaux.

 Et concernant le Patriotisme économique évoqué au début de la rencontre, il considérait que l’on pouvait le faire, le dire… en s’en donnant véritablement les moyens.

 

Référence au Last Supper :

Center for Defense Information

Centre Interdisciplinaire de Recherches sur la Paix et d’Etudes Stratégiques

New York Times


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