C’est cette difficile question que proposait de traiter les rencontres économiques du 6 mai 2008. Didier Adès étant souffrant, il était remplacé par Martin Piétri de l’IGPDE à qui il revenait d’assurer le difficile rôle d’animateur.
Cette session se composait de trois interventions et était conclue par une table ronde. Jean-Baptiste de Foucauld, Inspecteur général des Finances, Président du groupe de travail « Définition d’indicateurs en matière d’emploi, de chômage, de sous-emploi et de précarité de l’emploi, Président de « Solidarité nouvelles face au chômage » (http://www.snc.asso.fr/ ) association qu’il a fondée en 1985 et qui propose un accompagnement personnalisé aux demandeurs d’emploi, cet accompagnement est réalisé par des bénévoles, dans certains cas un emploi peut-être créé au sein d’une association pour accueillir un demandeur d’emploi.
Quels chiffres ? Quelles décisions ?
Jean-Baptiste de Foucauld commençait son exposé par interroger les chiffres du chômage, en rappelant l’énorme différence entre le nombre d’inscrits à l’ANPE (qui est le chiffre suivi politiquement chaque mois, 1897300 personnes en décembre 2007) et le nombre de chômeurs au sens du Bureau International du Travail (BIT) que publie l’INSEE chaque trimestre (7,5% de la population active au quatrième trimestre 2007, soit 2,1 millions de personnes), l’INSEE publie 2 indicateurs complémentaires, 2,7 millions de personnes ne travaillent pas mais souhaiteraient travailler et au sein de la population active 5,6% sont en situation de sous-emploi, soit 1,4 millions de personnes. Ainsi le taux d’emploi des personnes de 15 à 64 ans est de 64,8% et le taux d’activité est de 70,1%. L’attention politique sur un chiffre en particulier fait courir le risque de décisions néfastes, par exemple : « avec la création de nombreux emplois à temps (trop) partiels, je diminue le chiffre du nombre de chômeur, mais je fabrique des travailleurs pauvres… »
Pourquoi y a-t-il du chômage ?
Après cette introduction, Jean-Baptiste de Foucauld pose la question : « pourquoi y a-t-il du chômage ? » et propose 4 niveaux de responsabilité. Le premier niveau est une évolution systémique, des gains de productivité nécessitent une recomposition qui se produit facilement dans les périodes favorables (comme la reconstruction du pays) et qui ne fonctionnent pas dans les périodes défavorables. Le deuxième niveau est la réponse des institutions et plus largement de l’ensemble des acteurs aux évolutions systémiques. Le troisième niveau est l’entourage du demandeur d’emploi, va-t-il trouver le soutien, la solidarité dont-il a besoin pour être acteur de cette recomposition ? Le quatrième niveau est le dynamisme individuel : « il est plus difficile de chercher que de travailler ».
Modèle libéral ou nordique ?
Au-delà de ces constats, quels sont les modèles de retour au plein emploi ? Mr de Foucauld distingue deux modèles, le premier est un modèle libéral s’appuyant sur le marché comme régulateur du système, il nécessite une dérégulation totale du marché du travail, la suppression du salaire minimum, des formalités d’embauche et de débauche simplifiée et va de pair avec une couverture sociale plus faible.
Le mot d’ordre est la liberté individuelle, chacun est responsable de son chômage. Ce modèle est producteur de nombreux emplois de faible qualité, on pourrait simplifier en disant que l’on préfère l’exploitation à l’exclusion. Le deuxième modèle est un modèle que l’on pourrait qualifier de nordique, la responsabilité du chômage devient collective, les partenaires sociaux sont des acteurs responsables dans les dispositifs, très structurés et créateurs d’accord généraux, dans ce modèle on accepte des prélèvements sociaux plus élevés comme étant le prix à payer de cette responsabilité collective. Les salaires n’augmentent pas mécaniquement et globalement (comme notre SMIC par exemple) mais sous le coût d’accord industrie par industrie, par exemple en Suède les négociations débutent par l’industrie d’exportation (on considère que la compétitivité du pays est le critère premier) et les autres industries suivent ensuite.
Le problème français
Le problème français, est caractérisé à la fois par un refus du modèle libéral, et un refus de mettre en place les structures collectives qui permettraient de mettre en œuvre le modèle nordique, souvent par corporatisme en étant à la fois individualiste et étatiste. Nous sommes alors tenté de faire un peu de tout, et nous arrivons à notre situation actuelle avec un empilement de dispositifs dont la complexité, et les évolutions incessantes obèrent l’éventuelle efficacité.
7 chantiers pour revenir au plein emploi
Jean-Baptiste de Foucauld termine son exposé en proposant 7 chantiers pour mettre en œuvre notre modèle implicite du plein emploi de qualité : des salaires corrects assortie d’une protection sociale correcte, précédés de trois conditions : accepter les prélèvement obligatoires élevés, orienter vers l’emploi (donc diminuer les prélèvements sur l’emploi et privilégié l’orientation des crédits vers l’emploi, et donc avant la santé ou les retraites), en priorité vers l’emploi et pas les revenus. Les 7 chantiers sont : améliorer le soutien à l’initiative, revoir le rapport entre le capital et le travail en dépassant les modèles règlementaire arbitraire pour entrer dans de véritables négociations, reprendre le chantier du temps de travail en prenant en compte la problématique du temps partiel, accepter de payer 2 fois pour sortir de l’exclusion en payant pour une formation et pour un emploi aidé, améliorer le service public de l’emploi avec une indemnisation forte et un accompagnement fort des personnes assorti d’une formation qualifiante, définir une approche stable des contrats aidés, sécuriser les parcours professionnels (multiplication, diversification et qualification).
17% de chaque classe d’age sortent du système éducatif sans qualification
Michel Dollé, Inspecteur général de l’INSEE, Rapporteur général du Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale, proposait ensuite de faire un « Panorama des politiques publiques de retour à l’emploi ». Il débutait son propos par pointer une condition structurelle du chômage, sur laquelle Jean-Baptiste de Foucauld n’avait pas suffisamment insistée, le fonctionnement du système éducatif acceptant une sortie sans qualification de 17% de chaque classe d’age, contre 10% dans les pays nordiques et cela cumulé avec des difficultés de formation continue.
Des revenus de remplacement trop faibles… et trop élevés…
Concernant les revenus de remplacement, Michel Dollé indiquait qu’ils devaient être suffisant pour pouvoir chercher, mais pas trop élevé pour ne pas dissuader de chercher, à la fois sur la durée, qui était aujourd’hui dépendante de l’ancienneté et pas de la difficulté à chercher, et sur le niveau actuellement faible sur les bas revenus alors que très élevés sur pour les hauts revenus (le plafond étant au triple de celui de la Suède, sans parler du Royaume-Uni avec une allocation à montant fixe). Il pointait les phénomènes de déversement entre l’ARE (Allocation d’aide au Retour à l’Emploi), l’ASS (Allocation de Solidarité Spécifique) et le RMI (Revenus Minimum d’Insertion) sans coordination entre ces organismes. Il remarquait d’une part que cette coordination va peut-être émerger du conseil national de l’emploi et que la fusion ANPE-ASSEDIC apporte un début de réponse à la complexité des dispositifs. Complexité des dispositifs illustrés par Michel Dollé à partir des travaux du rapport Marimbert permettant une comparaison avec les organisations d’autres pays.
La formation est la priorité
Comme l’intervenant précédent, il souhaitait conclure par les chantiers qu’il lui semblait urgent d’entreprendre. Sur le thème de la formation en premier lieu avec une réforme de l’enseignement permettant d’en finir avec ces sorties massives du système éducatif sans qualification, réforme à entreprendre d’urgence car elle mettra entre 10 et 15 ans à produire ces effets, en second lieu la réforme de la formation professionnelle avec une unification des statuts des pourvoyeur de formation. Sur le thème des contrats aidés, en prenant garde à la continuité des dispositifs, sur la durée, la formation au cours des contrats et l’accompagnement. Sur les minima sociaux, diminution de la complexité structurelle, amélioration la coordination entre les départements et l’opérateur (devant devenir unique) France Emploi. Développer la sous-traitance vers des opérateurs spécialisés en fonction des besoins des demandeurs (public ou privé), en donnant à France Emploi, la responsabilité du diagnostic et de l’orientation des demandeurs d’emploi et la responsabilité d’évaluer les sous-traitants.
Quelles ambitions pour le Grenelle de l’insertion ?
Julie Micheau, conseillère technique au Cabinet du Haut Commissaire aux Solidarités actives contre la Pauvreté, était le dernier intervenant de cette session sur le thème : « Quelles ambitions pour le Grenelle de l’insertion ? ». Le Grenelle de l’insertion représente une occasion de faire des propositions pour faire évoluer les moyens et les outils du retour à l’emploi. Le processus doit de terminer fin mai 2008. Il réunit 8 collèges de représentants et 3 groupes de travail nationaux. Le champs d’intervention est flou, combinant difficultés de mesure, complexité et faible lisibilité des dispositifs autant pour les destinataires que pour les acteurs des dispositifs. Julie Micheau pointe les mêmes difficultés sur le dénombrement du chômage en remarquant qu’au-delà des populations bénéficiaires d’une indemnisation (ARE, ASS ou RMI) de nombreuses personnes ne sont dans aucun dispositif (les jeunes en dessous de 25 ans par exemple) et que la juxtaposition des dispositifs posent un grave problème de continuité des dispositif d’accompagnement, et donc des difficultés d’accès à la formation.
2,5 % des dépenses de formation vers les peu qualifiés
Concernant la formation, Julie Micheau remarque que sur les 25 md€ dépensés annuellement, seuls 1,2 md€ sont destinés à des personnes sans emplois, dont à peine la moitié de peu qualifiés et qu’au final il n’y a eu que 15000 personnes qui ont eues accès à une formation qualifiante.
Le revenu de solidarité active (RSA)
Même si le RSA n’est pas issu du Grenelle de l’insertion, Julie Micheau consacre une part de son exposé à décrire le dispositif envisagé. Il se substitut aux RMI, API, intéressement, PPE et si possible à l’ASS. C’est une prestation familiale s’adressant à tous, actif ou non. La principale critique faite au dispositif est qu’il serait un dispositif au travail de mauvaise qualité. Le RSA imposera la révision des droits connexes aux dispositifs auxquels il vient se substituer, comme la CMU, les exonérations de taxe d’habitation, les particularités locales liées à un « statut » de RMIste.
Le Grenelle est un dispositif fragile
Revenant sur le Grenelle de l’insertion, Julie Micheau assure de l’accord de tous les acteurs pour simplifier les dispositifs, pour rendre le service universel, mais personne ne veut changer… Que tous réclament l’exemplarité de l’Etat, mais que dans le domaine des contrats aidés, les formations et l’accompagnement ne sont pas assurés.
Les problèmes politiques ne seront pas résolu par le Grenelle. Le Grenelle n’est pas un lieu de négociation, il n’y a pas de règle de représentation, pas de représentation des usagers, le Grenelle peut souvent être vu comme un lieu d’expression des corporatisme et des Lobbyistes. Le dispositif est fragile et n’aura pas force de loi.
Au cours de la table ronde, les trois intervenants ont formulés la même demande d’une véritable politique de l’emploi qui donnerait le sens des réformes.
Remarque : il n’y avait pas d’intervention ni du ministère de l’emploi, ni du ministère du travail…
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